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Blog d'Olivier Issaly

À propos du Projet de Loi de Finance 2013

La publication du PLF2013 a mis en émoi ce week-end le monde des entrepreneurs, au point même d’organiser une manifestation, ce que j’ai du mal à concevoir personnellement. Que dit précisément ce PLF2013 pour que tout le monde s’inquiète ?

Pour être transparent, j’ai réalisé une cession en 2011 avec un complément de prix en 2014, je suis au milieu du gué donc avec une fiscalité changeant drastiquement. Mon seul intérêt à en avoir plus lors du complément de prix, c’est de pouvoir réinvestir dans d’autres start-up ou en recréer un jour sans passer par la case investisseurs. À part ça, j’en ai déjà largement assez, loin de moi l’idée de me plaindre.

Ensuite, je tiens aussi à préciser que je suis totalement en phase avec l’objectif de rétablir la progressivité de l’impôt. La situation actuelle est difficilement acceptable à mon avis, je vous invite à lire ou relire « Pour une révolution fiscale » qui explique bien cela.

La nouvelle fiscalité en cas de cession d’entreprise

Je m’intéresse ici uniquement aux start-up dites « de croissance », c’est à dire celles capables en quelques années de passer de la création à une valorisation de quelques millions voire dizaines de millions d’euros, souvent dans les nouvelles technologies. Ce sont en général des sociétés créatrices de nombreux emplois et souvent exportatrices, deux choses dont notre économie a besoin.

Jusqu’à 2011 inclus, la fiscalité était assez simple, puisqu’on avait le choix entre être imposé sur le barème de l’IR, ou bien opter pour le plus avantageux prélèvement libératoire forfaitaire de 19% plus la CSG/CRDS de l’ordre de 15,5%, soit 34,5% en tout.

Le projet de loi précise désormais que les plus-value de cession mobilière seront taxées à l’IR uniquement, ce qui va porter le taux marginal1 au delà de 150k€ à 61,5%2 environ. Je vous invite à lire en détail le projet de loi qui apporte des précisions notamment page 9 :

L’introduction d’un abattement proportionnel et progressif en fonction de la durée de détention des titres permettra de favoriser la détention longue. Il sera de 5% pour une durée de détention de deux à moins de quatre ans, 10 % pour une durée de quatre ans à moins de sept ans, puis sera augmenté de 5 points par année de détention supplémentaire au delà de la sixième année, pour atteindre 40% la douzième année.

Cette précision est importante, car pour une plus-value de quelques millions d’euros, si vous avez détenu vos titres pendant 12 ans, le taux moyen d’imposition va rapidement redescendre aux alentours de 35% 3, ce qui est proche de la situation actuelle. Autant dire que pour les fondateurs, l’incitation à ne pas revendre avant 12 ans de détention des titres va être très élevée.

Les conséquences sur les startups de croissance

Première conséquence : que faire si une opportunité qui est pertinente en terme de business se présente avant cette échéance de 12 ans ? Faut-il la refuser, et prendre le risque que l’activité se dégrade ou tout simplement ne jamais revoir une telle opportunité ? On décide pas de vendre une société quand bon nous semble, c’est un mélange de bon timing entre les opportunités du marché et préparation de la société en terme de croissance et rentabilité. C’est déjà un exercice hasardeux, si il faut en plus ajouter le calendrier fiscal à cela…

Deuxième conséquence : à défaut d’attendre 12 ans, la tentation va être forte de prélever des dividendes chaque année plutôt, ce qui atténuera le taux moyen d’imposition. Cela va à l’encontre d’une logique d’investissement où tout le résultat est réinvesti d’année en année, comme dans beaucoup de start-up de croissance. Cela pénalise par ailleurs les entrepreneurs qui font le choix de vivre chichement pour assurer la survie de leur société, dans l’espoir un jour peut-être de voir le fruit de leur effort. Une flexibilité en moins en matière de rémunération du risque pris en somme.

Troisième conséquence : les fondateurs et investisseurs verront leurs horizons de temps totalement désalignés. Un fond de capital-risque classique a une durée de vie de 8 ans en général. Ce n’est pas compatible avec un horizon de 12 ans pour les fondateurs. Et pour en revenir à la deuxième conséquence, le versement de dividende n’est pas non plus apprécié des investisseurs en capital-risque, car il vaut mieux investir pour améliorer la valeur de la société. Sans parler du premier cas où une opportunité business se présente avant les 12 ans, je n’imagine même pas l’ambiance du board quand des investisseurs seront présents au capital pour corser le dilemme.

Plus que le taux d’imposition qui ne freinera pas les plus motivés, ce sont ces contraintes de temps qui vont poser de vrais problèmes aux startups de croissance. Vouloir privilégier l’investissement long-terme est une bonne chose, mais personnellement ayant vendu au bout de 6 ans « seulement », je ne me considère pas comme un spéculateur pour autant. Il y a bien un problème de calendrier dans ce projet : le temps des nouvelles technologies n’est pas le même que celui de l’industrie.

Par ailleurs, on ne peut pas nier que bien des fondateurs de ces startup de croissance sont mobiles à l’étranger, car ils sont souvent jeunes ou que leur marché est par nature international. Sans même parler de la Belgique ou de la Suisse, quand on creuse de tels écarts avec ses pays voisins (l’Allemagne offre un taux de 26,5% par exemple), on s’expose inévitablement à des fuites.

On la veut cette croissance ou pas ?

Alors bien sûr, on peut toujours arguer qu’il suffit de ne pas vendre, et se dévouer passionnément pour son projet pendant toute sa carrière professionnelle, en acceptant une croissance plus lente. On peut aussi et c’est juste, se dire que le capital-risque n’est pas indispensable à toutes les startups, mais il l’est bien souvent dans les secteurs innovants à forte croissance. Et on peut bien sûr dire « bon vent » à ceux qui vont créer de la croissance ailleurs qu’en France.

Sauf qu’il y a malgré tout une forme d’incohérence à entendre parler depuis des mois de l’indispensable croissance qui manque à l’économie française, et de l’autre mettre des bâtons dans les roues aux entrepreneurs qui ne demandent qu’une chose, pouvoir précisément investir et créer de la croissance dans un pays qu’ils apprécient pour la plupart. Ce n’est pas ce projet qui va les arrêter, mais qu’on ne vienne pas se plaindre de l’état de l’économie française ensuite.

P.S. : je suis bien conscient qu’il ne s’agit que d’un projet, et justement il est bon d’en débattre pour qu’il soit amendé convenablement. Par ailleurs tout n’est pas à jeter, beaucoup de dispositions faisant de la France un pays intéressant pour entreprendre (JEI, CIR, ISF PME) sont conservées.

  1. visiblement beaucoup n’ont pas assimilé ce concept de taux marginal…
  2. au delà de 150k€, le taux marginal est de 45%, à quoi il faut ajouter 15,5% de CSG/CRDS et 3% de contribution exceptionnelle instaurée par Sarkozy en 2011, moins 2% environ grâce à un abattement de CSG (demandez à votre conseiller, j’ai pas compris la mécanique j’avoue…) soit 61,5%. Au delà de 500k€, on est même à 62,5%, la contribution Sarkozy passant à 4%.
  3. prenons une plus-value de 3M€ après 12 ans de détention des titres, soit 40% d’abattement. La base imposable est donc de 3000*0,6=1800k€. Je vous épargne le détail des premières tranches, à 150k€ l’impôt s’élève à 70k€ environ (CSG/CRDS inclus) puis 60% donc environ en taux marginal. Ce qui veut dire un impôt de 70+(1800-150)*0,6=1060k€ d’impôt, soit 35,3% des 3M€ de plus-value. Corrigez-moi si je me trompe.

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6 Comments

  1. Jean-Baptiste

    Je tiens à signaler que je suis également contre cette réforme. Mais j’aime me faire l’avocat du diable :

    Je pense que tu sais combien est taxé un salarié. En comptant les charges patronales + salariales on arrive à environ 45% de ce que paye l’entreprise. Les entrepreneurs sont encore bien avantagés avec Ho-Mon-Dieu 35% !!! Et les salariés ont encore l’IR à payer derrière pas sûr que ce soit le cas sur les plus values…

    Au fait les entrepreneurs, ce sont bien ceux qui ne cotisent pas aux chômages ni pleinement à la retraite (pour les TNS) et qui ne sont donc pas solidaire du reste de la population ? Même les profs, qui n’ont pas besoin eux non plus du chomage cotisent !!!

    Sérieusement, je comprend qu’on fasse de grosses aides pour ceux qui se bouge le cul pour créer des richesses et donner du travail aux autres incapables-de-creer-leur-propre-emploi, mais avant de râler il faut se rappeler à quel point nous sommes avantagés fiscalement… Et à quel point nous avons de la chance de gagner ce qu’on gagne et que cette chance on l’a doit aussi à notre pays, qui nous a éduqué gratuitement et qui nous permet de vivre en paix, loin des guerres. (Et oui si demain on se fait attaqué par l’Iran a coup de bombe H, nos apparts dans Paris, ils ne nous serviront plus à grand chose hein …). On dira ce qu’on voudra mais dehors ce n’est pas le pays des bisounours, il ne faut pas l’oublier…

  2. Sur les cotisations pas de désinformation s’il te plait, il n’y a pas de miracle : tu cotises moins en TNS car tu es moins protégé, d’où j’imagine deux régimes distincts (RSI pour les gérants et la CPAM pour les salariés). Tu n’as pas de chômage en tant TNS (d’où l’existance d’assurances complémentaires comme la GSC). Quant à la retraite, parles en aux artisans qui partent après 25 ans d’activité avec à peine 300 euros par mois de retraite. Seule la santé est je crois identique en terme de couverture.

    Sinon sur ton salaire tu paies environ 20% de charges salariales avant de passer au barème de l’IR qui désormais sera le même pour les revenus du capital, qui eux verront s’ajouter 15,5% de CSG/CRDS. Sauf erreur donc la différence réelle sur les hautes tranches sera de moins de 5%. Ça ne me semble pas délirant compte-tenu de la différence de risque non ?

    Pour le reste pas la peine d’user de l’ironie sur la création d’emploi, il me semble pas avoir stigmatisé les salariés…

  3. Et pour être complet sur l’égalité salaire/capital, il me semble (à vérifier) que tes cotisations CSG/CRDS payées sur les revenus du capital ne te donnes droit à rien en terme de santé et retraite, contrairement à la même cotisation côté salaire.

  4. Olivier (pas Issaly)

    CSG et CRDS ne donnent aucun droit en tant que tel, sinon de payer a fond perdu, contrairement aux cotisations.

  5. Eric

    @Olivier : la différence de risque elle joue aussi sur la différence de gain espéré. Le salarié n’a pas l’espoir de gagner le jackpot.

    Le risque peut justifier socialement ou le gain extraordinaire (mais rare) ou la faible imposition, mais pas les deux.

  6. @Eric : je prend juste un exemple. Nous tous (fondateurs et 45 employés), on génère 80% d’export sur nos revenus d’une activité nouvelle et innovante (à l’époque en tout cas).

    Indépendamment de l’imposition du travail respectif du salarié et de l’entrepreneur (et en l’occurrence les deux vont être alignés), on ne peut pas nier que sans le risque pris à la création, on aurait pu tous simplement travailler dans des industries établies, sans apporter aucune contribution de plus à l’économie du coup ? Et pour ce qui est des infrastructures de l’État, à mon sens la société paie déjà la TVA et l’IS pour cela.

    Pourquoi des impositions égales, quand l’un a permis d’initier (je n’ai pas dit réalisé, car il l’a fait à l’aide de salariés) une contribution positive à l’économie ?

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