Le modèle économique de vente de virtual goods s’est énormément développés ces dernières années dans le jeu vidéo, notamment aux États-Unis avec l’essor de Facebook, après être né en Asie et s’être étendu en Europe. Il s’agit désormais d’un modèle éprouvé et fiable, plus personne ne le conteste.

Cela étant, ce modèle suscite toujours autant d’interrogations sur la façon de le mettre en oeuvre, d’autant que son essor a donné naissance à de nombreuses variantes, chaque jeu ayant des stratégies différentes. Essayons d’y voir plus clair : que vend-on au juste, et avec quelle monnaie ?

Vendre du virtuel

Je présuppose ici que le lecteur a déjà compris que vendre du virtuel, ce n’est pas vendre du vent comme on peut l’entendre parfois ! Pour faire court, les ventes virtuelles répondent pour la plupart soit à une attente ludique (on veut se divertir) soit sociale (on veut être meilleur que d’autres, être visible dans une communauté, etc.)

Il est important de distinguer deux grands types de produits virtuels à mon sens, en suivant la même logique que dans l’économie réelle :

  1. les biens virtuels
  2. les services virtuels

Dans le premier cas, on parle bien de biens, dans le sens où ils ont une durée de vie ou bien un usage limité. Vous pouvez par exemple acheter une épée dans des MMORPG dont l’usure va augmenter au fil des batailles, ou bien un cheval pour prendre le cas d’Equideow.

Dans le second cas, il s’agit d’un service. Pour reprendre le parallèle avec l’économie réelle, vous achetez en quelque sorte la mise à disposition d’un savoir-faire temporairement. Il se peut dans le monde réel que vous ayez déjà ce savoir-faire, et que vous souhaitez juste faire face à un manque de capacité de production par exemple. Mais dans le cas contraire, l’achat du service ne vous donne pas permet pas de recevoir le savoir-faire. Si on transcrit cela dans le monde virtuel, vous ne pourrez jamais posséder ce savoir-faire, puisque concrètement il s’agit du code source, par définition contrôlé par l’éditeur.

En quoi consiste donc un service virtuel ? Sur Equideow par exemple, nous vendons un service appelé l’Éclair de Zeus, qui permet de changer le sexe d’un cheval (oui, c’est utile pour gérer la reproduction des élevages !). Il s’agit bien d’un service, qu’il faut acheter à chaque fois que l’on souhaite changer le sexe d’un cheval (mise à disposition temporaire de « savoir-faire » donc). Dans le même esprit, le Sablier de Chronos permet d’entrainer un cheval deux fois plus vite.

La première question à se poser est donc de savoir si on souhaite vendre des biens ou des services, ou vendre les biens et les services associés ! Tout dépend du degré d’ouverture de votre monde virtuel, notamment quelle marge de manoeuvre vous laissez aux utilisateurs.

Positionner le prix

Vient la question du prix, tout aussi délicate dans le virtuel que dans le réel. La complexité supplémentaire dans le virtuel vient du fait qu’indépendamment du prix que vous décidez pour vos biens et services virtuels, vous ne contrôlez pas les méthodes de paiement qui peuvent imposer des paliers spécifiques (c’est le cas pour le paiement par SMS par exemple).

C’est là qu’intervient la monnaie virtuelle, avec pour objectif de faire le lien entre vos prix et les méthodes de paiements disponibles. La grande décision à prendre pour la monnaie virtuelle concerne sa granularité : pour 1?, obtenez-vous 1 unité de monnaie virtuelle (faible granularité), ou bien 10, ou bien 100 (forte granularité) ?

Pour en avoir encore discuté pas plus tard que jeudi dernier avec Benjamin Joffe lors de la Web Game Conference, la question peut faire débat. C’est un choix marketing important, qui à mon sens ne doit pas forcément être trop influencé par les méthodes de paiement. Évidemment, si vous évoluez sur une plate-forme comme Facebook qui impose désormais sa solution de paiement et sa monnaie virtuelle (Facebook Credits) à forte granularité, vous avez beaucoup moins de marge de manoeuvre (rajouter une monnaie par dessus les Credits apporte de la lourdeur).

Donc, faut-il une monnaie à forte ou faible granularité ? Cela dépend bien évidemment du positionnement prix de vos produits virtuels, et donc de la stratégie marketing. Pour y voir plus clair, distinguons à nouveau les produits virtuels.

Dans le cas des services virtuels, et par expérience, il faut une forte valeur ajoutée pour parvenir à vendre le service. Une faible granularité n’a donc pas d’incidence, puisqu’il est probable que le service soit vendu à 1 euro (seuil psychologique et structurel) ou plus.

Dans le cas des biens virtuels, la granularité a une grande importance selon votre stratégie marketing. Si vous êtes dans la logique de biens virtuels haut de gamme, à forte valeur ajoutée (en jouant sur la rareté par exemple), une faible granularité ne pose aucun souci puisqu’il est vraisemblable que vous vendrez ces biens à plus d’un euro.

Si en revanche vous êtes dans la logique de vendre des produits à plus faible valeur ajoutée, mais en plus grand volume, une forte granularité est indispensable, et idéalement vous voulez pouvoir vendre des biens à quelques centimes. Par ailleurs, certains modèles économiques de virtual goods nécessitent une grande granularité, comme celui imposant une commission sur les échanges entre joueurs.

Stratégie marketing

Peut-on combiner ces variantes, avec d’un côté des services ou biens à forte valeur ajoutée, et de l’autre côté biens à faible valeur ajoutée ? Si c’est le cas, je pense qu’il est important alors d’avoir deux monnaies différentes, dans la mesure où la granularité peut avoir un impact psychologique sur la perception d’un produit. Si un bien coûte 1 unité, et que l’autre en coûte 2, et qu’il n’y a aucune offre possible entre les deux, c’est que le second doit être deux fois plus intéressant, non ? 🙂 A ce sujet, il est intéressant de voir que Tencent a récemment subdivisé sa monnaie pour avoir plus de granularité.

Après, on retombe dans les questions et stratégies du marketing de l’économie réelle. Il suffit de se demander pourquoi l’industrie du luxe bataille pour que les grandes surfaces ne puissent vendre leurs produits ? Ou pourquoi l’industrie automobile tient à conserver le privilège des constructeurs à vendre leur voiture neuve en exclusivité dans leurs concessions. Un constructeur premium allemand ne souhaite sûrement pas voir ses voitures neuves vendues à côté de voitures low-cost roumaines, question d’image et de services associés. C’est en tout cas ce qu’à parfaitement compris Apple qui vend autant le produit que l’expérience du produit, en investissant sur les lieux de vente (voir le succès des Apple Store aux emplacements prestigieux) et sur l’image (communication, packaging, etc.).

Contrairement à ce qu’on pense, l’économie virtuelle n’a rien d’innovante, il suffit d’étudier l’économie réelle 🙂