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Blog d'Olivier Issaly

Quand Le Monde soutient la taxe Google

Il y a quelques jours est paru le rapport Zelnik, dont une des mesures phares, reprises par le Président de la République lors de ses voeux économiques, est de taxer les revenus publicitaires des moteurs de recherche pour financer les propositions du rapport sur la musique en ligne notamment. Soit, c’est un rapport de plus sur ce sujet complexe et épineux, et je doute du bien fondé des mesures en question.

Là où je suis surpris, c’est de voir Le Monde apporter son soutien à ce rapport, allant même jusqu’à qualifier de « juste » la taxe Google. On ne peut pas dire pour diverses raisons que je porte Google sur mon coeur, mais je respecte leur innovation et les risques pris pour arriver à leur position, et je ne parviens pas à comprendre en quoi ce serait juste.

Tout d’abord, autant je comprends le problème pour la presse en ligne par exemple, autant je suis dubitatif sur la responsabilité du modèle des moteurs de recherche dans le problème de la musique en ligne. Certes, Google édite par exemple Youtube avec son lot de musiques publiées, mais dans ce cas là traitons le cas des services de vidéos en ligne, pas celui des moteurs de recherche.

Ensuite, je ne saisi pas le fond du raisonnement aboutissant à une nouvelle taxe. Je cite Le Monde : «[…] contraindre des entreprises étrangères à acquitter leur dû fiscal en France ne sera pas simple.». Même si il y a effectivement des polémiques sur les techniques d’évasions fiscales de Google, ce problème n’est en rien spécifique au secteur Internet ou au problème de la musique en ligne. Le fond du problème est pourtant bien connu : l’Europe a besoin d’une harmonisation fiscale, et les politiques européens n’ont toujours pas eu le courage de s’attaquer concrètement à ce problème. Alors dire qu’on a un problème avec le téléchargement illégal de musique, suggérer de taxer des sociétés dont le modèle économique est assez éloigné sous prétexte qu’elles ne paient pas de taxes en France, ce qui au fond est un problème de politique fiscale européenne, c’est quand même faire un amalgame plein de mauvaise foi. Mais c’est tellement plus facile de s’en prendre à un bouc-emissaire aux poches profondes…

Pourtant une partie de la réponse se trouve aussi dans l’article. Je cite : « Le résultat est ravageur : hormis le cinéma, qui se porte bien – la magie de la salle opère toujours -, la musique est sinistrée, la presse souffre, le livre est menacé». Je ne pense pas que les salles de cinéma soient magiques en soi. Ce qui est magique, c’est de vivre un instant présent dans un contexte particulier. Le cinéma est au film ce qu’un concert est à la musique par exemple : une expérience vivante et intense que la consultation du contenu sur un autre support ne permettra jamais. À mon sens, les innovations technologiques du XXe siècle notamment en terme de diffusion ne doivent pas faire oublier que tout art est à l’origine vivant. C’est ce que Lawrence Lessig appelle « read-write culture », par opposition à « read-only culture » du XXe siècle. Le problème de la culture en ligne est délicat, mais quelque chose me dit qu’une partie de la solution viendra d’un retour au source, à savoir développer l’art vivant et ré-autoriser la créativité de tous.

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2 Comments

  1. Olivier

    I appreciate your insights in this article. In particular, I think this– "mais quelque chose me dit qu’une partie de la solution viendra d’un retour au source, à savoir développer l’art vivant et ré-autoriser la créativité de tous"– gets to the heart of the problem.

    France, and perhaps other European nations, are mired in a 20th century approach: One must cling to value (as opposed to set it free) if one is to reap the rewards of ‘owning’ it. Lessig’s story is the perfect example of this.

    Like it or not, piracy has led to plenty of innovation.

    Ultimately, I think the taxation approach will only leave France (and other nations that follow suit) in the dust of societies that can iterate (and create) faster through a collaborative approach. Sure it infringes on some parties’ rights, but those who learn to harness it – I’m thinking of Radiohead, or even the Grateful Dead when they started allowing bootlegged recordings of their own concerts in the 1970s – will come out ahead of the rest.

    Great read, thanks for making it!

    Susan

  2. Hey Susan, good to see you’ve not lost your french 🙂

    I’m not sure the r/w culture issue concerns only France or Europe, Lessig has fought a lot in the US (not always successfully unfortunately) to preserve fair use in digital ages and avoid copyright extensions for instance.

    But the taxing approach is really a national expertise… When it comes to taxing france is the most creative country 🙂 What makes me even more angry is that they use an unsolved issue (fiscal harmonization in Europe) as an excuse to fix another issue (music piracy). There’s even no incentive to fix the first one as it helps for the second. Definitively broken…

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