Dimanche midi j’ai eu l’occasion de manger à Paris avec Leanne Markus, la tutrice de mon stage à Auckland en Nouvelle-Zélande. Ce fut l’occasion de discuter sur sa companie qui produit un logiciel de gestion de ressources humaines assez innovant, et de lui raconter où j’en suis de mon côté avec Olient et Equideo (elle attend impatiemment la version anglaise…).

La discussion en est venu au brevet qu’elle a obtenu pour son application, applicable en Nouvelle-Zélande notamment, en m’expliquant que ce brevet courait pour 20 ans. Et on est donc venu à parler propriété intellectuelle… Leanne m’expliquait alors qu’il lui avait fallu 5 ans pour développer le logiciel, et ensuite trouver les clients à qui le vendre, puisqu’elle vise les grands comptes. Plusieurs grosses companies néozélandaises l’utilisent, mais plus récemment c’est surtout l’hôpital de Singapour qui est venu compléter les références, ouvrant les portes de l’Asie du Sud-Est. Pour elle, le brevet est nécessaire vu toutes ces années d’efforts avant de commencer à en récolter les fruits.

J’ai quand même réussi à lui faire reconnaître que 20 ans, même dans son cas, c’est trop long, et que peut être 10 suffisent. Car c’est bien là (avec l’étendu) le point le plus important du brevet : la durée d’application. Reprenons depuis le début.

Le rôle d’un brevet est de favoriser l’innovation. La finalité, c’est l’innovation. La durée d’application n’est qu’un moyen pour atteindre cette finalité. En accordant un monopole limité dans le temps, le brevet doit inciter la personne à exploiter son innovation. Limité dans le temps, pour la simple et bonne raison que toute idée nouvelle est toujours plus ou moins basée sur une idée déjà existante. Si le brevet est trop long, il nuit à l’innovation en empêchant d’autres innovateurs d’améliorer l’idée originale. Si il est trop court, le créateur n’aura pas assez d’assurance qu’il arrivera à vivre de son innovation avant d’être à la merci de concurrents. Toute l’efficacité d’un brevet pour favoriser l’innovation et l’intérêt général réside dans la juste mesure de sa durée.

Leanne me disait donc qu’on aurait tout intérêt à protéger notre concept de jeu en ligne. Ce que ne cesse de me répéter ma mère, qui a peur qu’on nous vole notre idée. Et ce à quoi je réponds : "mais nous aussi on a commençé en repiquant le concept à quelqu’un d’autres !". Le concept de jeu en ligne existait depuis longtemps, et nous avons repris celui du jeu d’élevage de chevaux. Nous l’avons considérablement amélioré, tant le jeu que le modèle économique, preuve en est la réussite d’Olient. Et si quelqu’un venait à faire mieux que nous, je considère que ce serait à nous de reprendre au mieux son amélioration, et de faire à nouveau mieux que lui. C’est le jeu, saine émulation.

Je ne peux pas dire objectivement qu’on aurait eu besoin d’un brevet sur 20 ans. D’autant plus que je ne considère pas vraiment un brevet trop long comme une aide pour l’entreprise, les ardents défenseurs d’une propriété intellectuelle très forte étant souvent ceux qui ont un intérêt à se reposer sur leur laurier et relacher l’effort…

Cependant, si la durée était suffisament courte, je pense qu’un brevet logiciel sur un concept pour le Web pourrait être utile pour inciter plus de monde à se lancer dans l’aventure. A mon avis, une durée de 6 mois à 1 an maximum pourrait être bénéfique pour les innovateurs qui seraient assurés qu’on leur laisse quelques mois pour faire leurs preuves. Ce n’est pas de trop pour lancer un site ou un service sur le Web. Mais le Web évolue tellement vite, trop vite pour accepter des verrous sur certains concepts pendant plusieurs mois. Ce qu’on gagnerait en initiatives d’un côté qui ne serait pas parues sans l’incentive d’un brevet, on le perdrait largement de l’autre : alors que chaque semaine apparait un nouveau service innovant sur le Web, cette durée serait probablement rallongée à quelques mois… Et si le Web était la preuve que le monde des idées n’a pas besoin d’une forte propriété intellectuelle ? Vraiment, je pense que c’est un précieux équilibre qu’il ne faut surtout pas bouleverser avec ce genre de mécanisme qui, si il s’avère efficace dans le monde réel (personne n’a remis cela en question), pourrait s’avérer dévastateur sur le Web.