Imaginez un monde où vous n’avez pas de chez vous. Un monde où vous dormez chez votre voisin Dupont, où vous faites votre cuisine chez Dupond. Vous utilisez la salle de bain de Durant et quand vous voulez bricoler dans un garage, vous vous rendez chez Durand. Pour le barbecue, c’est dans le jardin de Martin que ça se passe. C’est Henri qui gère votre boîte aux lettres et, cerise sur le gateau, vous ne possedez même pas de carte d’identité : ce sont les gens chez qui vous allez qui vous identifient.
Ce monde est encore plus triste que cela : non seulement vous n’êtes pas le seul dans cette situation, mais en plus seule une poignée de Durant et de Dupont accueillent l’ensemble de la population. Vous êtes dépendant d’eux, et ils savent tout de votre vie.
Monde irréaliste ? Je dirais même surréaliste. Et pourtant, ce monde que je décris, c’est le Web tel qu’il se présente actuellement. Si la notion de vie numérique est désormais courante, il faut bien dire qu’une minorité seulement contrôle la sienne. La grande majorité des internautes n’a pas de chez-soi numérique. Pour toutes les actions courantes d’une vie numérique, l’internaute 2.0 est tributaire d’autres services. Il gère ses photos avec flickr, ses mails sur GMail, ses bookmarks avec delicious, ses flux RSS et autres avec Netvibes, sa musique avec last.fm, son blog avec Typepad et ses flux avec Feedburner. Dans ce monde 2.0, tout se passe comme si se construire ou accédez à un chez-soi était inaccessible ou réservé à une minorité.
Mon chez moi virtuel, c’est kiad.org. Non seulement je veux y gérer ma vie numérique (blog, photos, musique, syndication de contenu, etc.), mais en plus je veux en garder une trace pour que dans 30 ou 40 ans je sache que le 3 février 2007 à 23h45 j’étais en train d’écouter Wembley’86 de Queen et que je venais de poster un billet sur ma vision du Web. Cette vie numérique et la masse de données qu’elle représente, je veux la gérer moi-même et non pas la confier à des tiers dont le seul but est de mieux me connaître pour mieux me vendre leurs produits. Je ne tolère guère cela dans le monde réel, cela ne me plait pas plus dans ce monde virtuel.
Je ne vois pas vraiment d’obstacle technique à contrôler sa vie numérique, on commence d’ailleurs à en voir les prémices avec OpenId entre autre. Cette problématique commence à pointer, notamment à travers les discussions sur le contrôle des données personnelles. Mais le vrai obstacle je pense vient des internautes eux-même qui n’éprouvent pas le besoin de ce contrôle. Du moins, pas encore. Je suis persuadé qu’un jour viendra où tout internaute, en tant que cyber-citoyen, exigera de pouvoir contrôler sa vie numérique, et de disposer d’un chez soi virtuel, pour les même raisons que les questions de vie privées sont importantes dans le monde réel. On disposera alors d’un Web vraiment décentralisé, où les utilisateurs auront réellement le contrôle, et où les services communautaires que l’on connait aujourd’hui ne seront que des interconnexions entre les chez-soi virtuels des internautes.
Cette évolution que l’on pourrait qualifier à juste titre de Web 3.0 n’interviendra certes pas en quelques mois. Mais même si le Web est jeune, il évolue très rapidement, et on peut raisonnablement penser qu’il s’agit d’une question de quelques années.
Cela dit, pour conclure sur une note moins positive, gardons à l’esprit qu’en cette période hivernale beaucoup n’ont même pas de chez-soi dans notre monde bien réel lui. J’en suis bien conscient en utilisant cette comparaison. Je suis pas sûr que le terme de fracture numérique soit bien suffisant pour décrire cela. C’est un autre débat…
Ulhume
Tant qu’à faire, autant mettre ce commentaire ici plutôt que sur scoopée 😉
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Pas inintéressant du tout ton analyse (maintenant que grâce à certains j’ai compris ce qu’était ce web2 ;-).
Et ce qui est amusant c’est que ces « cadeaux », ses « services », sont basés sur le business même du « don de données personnelles » par tout à chacun. Et généralement sans garanties sérieuses, cf. les dernières discussions sur ziki… Et pourtant, vu l’état du logiciel/materiel aujourd’hui, chacun pourrait avoir ces mêmes services chez lui avec bien peu d’effort et de moyens. L’idée serait finalement d’inverser la situation. Ce ne serait plus MES bookmarks sur de.licious, mais un delicious (web 3 😉 que j’abonne à mes bookmarks qu’il vient prendre et ainsi mettre à jour, comme un google, chez moi. Le service serait le hub, plus l’information.
Techniquement, il pourrait s’agir d’une machine dédiée qui se placerait entre le modem ADSL et la machine principale du foyer. Un peu comme un gros routeur. Equipée de deux cartes réseau, de deux disques durs (pour minimiser les risques de perte), sans écran ni clavier, administrable de la machine principale via interface Web. Bref, une petite machine basse consommation (type micro-ati ou µ-controleur musclé en 12v) qui offrirait une DMZ, un double firewall, un serveur web (incluant donc ce que l’on veut, du blog à la galerie de photos, etc…), un serveur de courrier (SMTP+IMAP), etc…
Ensuite il suffit d’un FAI capable de donner une adresse fixe (ou au pire cas utiliser un dyndns) et de s’acheter un nom de domaine à soi.
Je me demande d’ailleurs s’il n’existe pas une distrib linux construite dans cette idée avec un noyau de base, un apache, php, les applis php de base type blog & webmail, un postfix/cyrus, et une interface un peu plus simple mais dans le genre webmin pour gérer le tout à distance.
En tout cas cela semble assez facile de concevoir. Et je me demande d’ailleurs si l’idée de M. Gate avec son « windows home serveur » n’est pas de cet ordre… A creuser… Mais là on signe la mort des typepad & co, Loïc vas nous détester 😉
olivier
Oui en effet l’idée est bien de renverser la situation : les services viendront chercher les données sur nos espaces personnels, contrôlant ainsi quelles données personnelles seront utilisées, comment et par qui. La comparaison avec Google est correcte : la « recherche » et le « contenu recherché » sont bien dissociés, le second étant complètement décentralisés vis-à-vis du service offert par Google.
Après quant à la forme, je ne pensais pas nécessairement à une machine dédiée, un espace en ligne (mutualisé ou v-server par exemple) offre suffisamment de contrôle pour mettre cela en place.
Nicolas
La comparaison avec le chez-soi numérique est intéressante, mais elle a l’inconvénient d’intégrer à la fois l’espace privé (associé aux possessions personnelles) et les services auquels les individus comme les sociétés souscrivent. Il faut je pense séparer la question de l’_authentification contrôlée_ et du _service_ dirigé du fournisseur vers le client.
La distribution du courrier est typiquement un exemple de service présent à la fois dans le monde réel et virtuel : une société (parfois plusieurs) se chargent de délivrer le courrier et cela sur le Net comme IRL. La différence ici est le fabriquant de boîtes aux lettres (Google, Yahoo!, Microsoft) : certains fournissent des boîtes plus grosses et dans lesquelles le courrier est bien rangé, d’autres mélangent les pubs avec le courrier légitime sans grand confort pour le client/utilisateur.
Pour de nombreux autres services n’ayant pas d’équivalent numérique, nous sommes dépendants de prestataires externes fournissant des services en compétion, de qualité différente, et qui gèrent nos données personnelles de manière difficilement contrôlables. L’analogie Gmail-Flickr pourrait être faite ici avec une carte de fidélité Carrefour et une Fnac. Les informations sont dupliquées, distribuées, revendues, et nous devons toujours en tant que consommateurs nous déplacer dans les magasins pour profiter du service commercial (ici, la vente d’objets).
Certainement OpenId pourra aider à la centralisation chez l’individu de ses informations personnelles, je doute toutefois que les services disponibles sur l’Internet arrivent à un regroupement sur un espace personnel plutôt que chez les prestataires. Pour revenir à l’analogie avec la société de consommation, cela correspondrait à la promesse du « tout depuis chez-soi » offerte par les livraisons à domicile de courses effectuées sur Internet (avec la popularité des supermarchés virtuels que l’on sait).
On ira toujours chez le boucher pour de la viande, à la boulangerie pour du pain et au marché pour des fruits 🙂
Anh-Tuan
Je trouve cet article fort intéressant. J’ai cependant un doute sur la nécessité de mémoire personnelle numérique. En particulier en ce qui concerne le risque lié à l’existence pour chacun de nous d’une « fiche » répertoriant toutes nos activités. Je serais d’ailleurs plus pour une mémoire sur les contenus, c’est à dire la possibilité de pouvoir explorer le web comme il l’était à une date précise.
En ce qui concerne l’avènement de ce web 3.0 décentralisé, je pense qu’il n’est pas si lointain. Je ne veux pas faire du lobbying ou prêcher pour ma paroisse mais c’est ce que Peerple permet ou permettra très prochainement…
@++
sur un forum ou par mail 😉
olivier
En effet la mémoire de contenu est intéressante. À ce titre j’aime beaucoup le blog de Karl Dubost (la-grange.net), dont les habillages graphiques sont fixés à une date précise.
Je vais regarder de plus près Peerple 🙂