Apple est régulièrement loué comme le plus incroyable come-back industriel, au point d’être aujourd’hui la société de technologie la plus valorisée.

Parmi les traits marquants d’Apple figure l’obsession de ne jamais céder sur son positionnement haut de gamme et élitiste, ne faisant aucun compromis sur l’expérience utilisateur, que ce soit sur la qualité perçue, l’utilisabilité ou simplement le prestige que procure la marque auprès de ses utilisateurs. Ainsi, si on peut blâmer Apple de verrouiller autant sa plateforme en couplant systématiquement par exemple le software (MacOS, iOS) avec le hardware (Mac et iPhone), c’est précisément ce qui leur permet de garantir cette expérience utilisateur peu égalée.

Comme souvent dans la stratégie d’Apple, on sent une extrême logique. Une plateforme contrôlée et verrouillée implique forcément (à moyen ou long terme) des parts de marchés plus faibles, ce qui a toujours été le cas avec Mac et tend à l’être avec l’iPhone. Il est en effet très difficile de dominer le marché sans s’appuyer sur des partenaires – le bon exemple étant la démarche de Google avec Androïd qui leur a permis de prendre les devants. Mais moins de parts de marché n’est pas forcément un souci dans l’absolu, précisément parce que la cause de cette plus faible part de marché (expérience utilisateur qui implique un fort contrôle) permet justement des marges plus élevées (grâce aux prix élevés1).

Ce parti pris d’Apple consistant à favoriser la profitabilité plutôt que les parts de marché tient la route donc, et couplé à leur forte capacité d’innovation, le moins qu’on puisse dire est qu’il s’agit d’une stratégie gagnante.

Apple pris à son propre piège ?

Comme toute stratégie, il y a un point faible qui menace à long terme l’ensemble. Et avec le recul de ces dernières années, tout semble indiquer désormais qu’il s’agit de l’obsession du contrôle. Le premier signe est apparu assez rapidement avec les tensions entre les développeurs et Apple (comme la validation à priori des applications), dont les enjeux ont été parfaitement décrits par Paul Graham.

Plus récemment, ce sont les annonces d’Apple sur la politique de commission qui font parler d’elles. Pour les éditeurs qui vendent des abonnements permettant d’accéder à des contenus qui sont consultables sur l’iPhone (en plus de l’être par le Web), Apple impose non seulement que l’abonnement soit aussi accessible via l’application iPhone ou iPad (ce qui implique 30% de commission), mais en plus qu’il soit au même prix que sur le Web (pour information, les commissions par carte bancaire sur le Web sont de l’ordre de 1 à 3% seulement).

Malgré la complainte chez les éditeurs qui se fait déjà entendre, ce n’est sûrement pas le dernier pas d’Apple dans le sens du contrôle, qui ne semble pas avoir peur de pousser le bouchon un peu trop loin.

Sans même parler qu’une présence multi-plateformes est coûteuse à soutenir pour un éditeur et que des choix de plate-forme devront être faits, les difficultés vont apparaître en terme de business. Résumons. Un éditeur vendant du contenu consultable à la fois sur le Web et sur iPhone/iPad, se trouve face au choix suivant : dois-je vendre plus en acceptant des marges plus faibles (70%) ou vendre moins mais à plus forte marge (98%).

En somme, l’éditeur va devoir faire un choix entre parts de marché ou bien profitabilité. Avouons que la situation est plutôt ironique : si une masse critique d’éditeurs suivent à leur échelle le brillant exemple d’Apple et font le choix de la profitabilité, c’est précisément Apple qui en souffrira puisqu’ils délaisseront sa plateforme.

Si le métier d’éditeur est difficile, celui de propriétaire de plateforme comme Apple l’est autant. Tout l’art est de savoir jusqu’où pousser le bouchon sans que tout l’édifice s’écroule 🙂

  1. il y a bien sûr un équilibre à trouver : la marge élevée ne peut venir que du prix plus élevé, elle doit aussi être supportée par des coûts faibles, ce qui implique un minimum de parts de marché pour amortir les coûts fixes. Apple est ainsi le premier consommateur de mémoire flash au monde, ce qui aide à baisse les coûts !