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Blog d'Olivier Issaly

Assurer la pérennité d’une start-up

Le débat sur le modèle publicitaire resurgit à nouveau avec un billet sur ce qu’aurai pu être Twitter, et la contre-proposition du fondateur de app.net, Dalton Caldwell. Non sans rappeler les idées développées par 37 Signals, on ressent dans ces réflexions le souci d’assurer la pérennité de la start-up.

Dalton Caldwell rappelle une évidence au sujet du modèle publicitaire : il pousse forcément à la schizophrénie, dans la mesure où vos clients (les vrais, ceux qui mettent la main au portefeuille) ne sont pas vos utilisateurs. En prenant l’exemple de Sourceforge qui sombra in fine à force d’avoir poussé le bouchon trop loin vis-à-vis de ses utilisateurs, au profit des annonceurs. Par expérience, même dans une société comme Owlient où la publicité ne représente que 10% du chiffre d’affaires, les débats sont souvent houleux pour placer le curseur au bon endroit.

Là où Caldwell me semble cela dit un peu naïf dans sa proposition, c’est de croire que seule la publicité est susceptible d’entraîner des dérives contraires à l’intérêt long terme de la société. Certes, une start-up avec un modèle transactionnel (e-commerce ou free-2-play par exemple) voit ses intérêts longs termes bien mieux alignés avec ceux des utilisateurs de son produit. Mais ces modèles ne sont pas à l’abri de dérives, comme le rappelle dans le jeu mobile les cas des éditeurs japonais qui ont poussé le bouchon trop loin sur les mécaniques de hasard. On est ici bien loin de l’idée inhérente au jeu vidéo de créer de la valeur par le contenu, la seule à même d’assurer la pérennité du produit. Dans un modèle plus classique, on aura pas de mal à trouver des critiques à l’encontre d’Apple, soupçonné d’aller trop loin dans la sollicitation de ses clients, au risque de les perdre au final.

Le péril de la croissance forcée

Si tous les modèles sont soumis à ce risque, le problème est ailleurs. À mon sens, il s’agit surtout d’une question de croissance. C’est la principale raison qui pousse à aller trop loin : faire toujours plus de chiffre d’affaires et plus de résultat. Qu’est-ce qui peut pousser une société au modèle économique établi, voire rentable, à aller trop loin pour faire de la croissance ?

Dans le cas de Twitter et de bien d’autres start-up, la principale raison qui vient à l’esprit est la présence de VC à bord, d’autant plus compte-tenu des montants levés. Même avec des investisseurs raisonnables, il est impossible pour un dirigeant de ne pas penser à la nécessité de trouver une sortie. Ce qui se traduit par une course à la croissance, d’autant plus forte si d’autres financements sont à prévoir car cela aura un impact sur la valorisation.

Soyons clairs : dans le cas d’un produit avec un modèle économique établi voire déjà profitable, et où la priorité du fondateur est développer un business durable plutôt que d’être le plus gros le plus vite possible, alors lever des fonds n’est probablement pas la bonne option. Si il a une vision long terme, alors il est préférable pour lui de prendre le temps de construire la croissance solidement. Non pas que cela ne soit pas possible avec un financement de VC, mais c’est un pousse-au-crime de plus dont on se passe volontiers.

Dans le cas de service B2C sur le Web, seul le cas d’une croissance explosive empêchant de faire face aux coûts d’infrastructure justifie sans se poser de question d’aller voir des VCs. Car cela veut dire qu’il s’agit d’un produit à fort potentiel, qui impose de continuer à faire la course en tête rapidement. Et encore, financer le coût d’infrastructure pour faire face à la croissance relève plus à mon sens du rôle des banques, mais c’est un autre débat.

Paradoxalement, c’est dans le cas où la start-up est à l’équilibre ou rentable, que la tentation d’aller voir des VCs est la plus grande, car les fondateurs sont alors en position de force pour négocier. La question relève alors plus d’un choix personnel de l’entrepreneur, entre le souhait d’une croissance rapide, avec tous les risques précédemment cités que cela comporte, ou celui de construire une croissance plus lente mais durable.

Du choix d’être entrepreneur

Est-ce manquer d’ambition que de faire le second choix ? Malheureusement, il faut reconnaître une chose que l’industrie du capital-risque a bien su faire, à défaut d’être toujours rentable1, c’est de faire croire que les VCs sont une étape indispensable pour la réussite d’une start-up. La réponse de Fred Wilson à Caldwell est typique en ce sens. En se faisant l’avocat du gratuit, et indirectement des modèles publicitaires, il oublie de rappeler que cela implique quasi systématiquement de construire l’audience d’abord et monétiser ensuite. Ce qui est très difficile sans le soutien de VCs pendant plusieurs années. C’est oublier aussi de dire que le raisonnement tient pour une poignée de start-up qui effectivement ont un potentiel de croissance très fort. Pour les autres, la question se pose.

On en revient donc à un choix à faire par les fondateurs. En restant maître du capital, le dosage de la croissance relève uniquement de l’entrepreneur, en fonction de ses perspectives à moyen et long terme. C’est un équilibre entre sagesse et soif d’entreprendre. Ne pas avoir de pressions au niveau du capital n’élimine pas tous les risques de dérives, mais au moins l’entrepreneur ne peut s’en prendre qu’à lui-même. Après bien sûr il faut suivre les évolutions du marché et continuer à innover. Mais il y a une différence entre assurer la pérennité du produit, et vouloir aller trop vite ou voir trop grand.

Si ils ne font pas aussi souvent la une des médias comparés aux start-ups financées par des VCs, les entrepreneurs qui font le choix du long terme en toute indépendance méritent tout autant de respect. Il ne faut pas oublier qu’être entrepreneur, c’est avant tout être libre de ce qu’on fait. Il y a déjà assez de difficultés à surmonter sans s’embarrasser du « qu’en dira-t-on ? » du monde des start-up 🙂

  1. c’était facile, mais pas loin de la vérité en Europe

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3 Comments

  1. Olivier

    J’ai envie d’y lire une autocritique mais est-ce bien le cas ? Quoiqu’il en soit c’est une réflexion intéressante.

  2. Peut-être, j’ai tendance à toujours réévaluer la pertinence des choix passés, mais ça ne veut pas dire que je les regrette pour autant. Pour ce qui est de la pérennité d’Owlient, pas de doutes là dessus la société est entre de bonnes mains 🙂

  3. C’est là un excellent article qui cristallise l’essentiel des caractéristiques et des interrogations de bon nombre de start-up françaises.

    Je pense en premier lieu aux fameux 10% de publicité. Un pure-player qui ne joue que sur la publicité, sauf à être une régie publicitaire, ignore dans les faits son potentiel de monétisation. Et ils sont encore nombreux dans ce cas.

    La seconde partie, axée sur le paradigme "développement durable" VS "produit rentable", est une question lourde de sens que chacun devrait se poser. Si une entreprise non rentable ne peut perdurer, une entreprise vénale a-t-elle encore une raison d’exister ?

    Je pense qu’on arrive à ce point une réflexion d’ordre philosophique portée par le fondateur, à savoir l’arbitrage entre la nécessité de croissance (sinon l’équilibre financier), et l’idée que l’on se fait du service apporté aux internautes.

    Merci Olivier pour cet article particulièrement intéressant, pertinent du début à la fin.

    Si je devais résumer ma pensée en quelques mots, je dirais :
    "Vazy, mais +1, koi !" 🙂

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