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Blog d'Olivier Issaly

Startup incomprise ? Impatience et méconnaissance surtout…

La Tribune a publié un article sur l’histoire de One Feat, une « startup incomprise » en France par les investisseurs et qui a pu lever 500k$ facilement aux États-Unis. Et le journaliste d’étayer sur l’incompétence des business angels français et sur l’inutilité d’un modèle économique. Il démontre surtout sa méconnaissance de l’économie des startups.

Sur le financement en France

L’erreur flagrante de cet article à mon avis, c’est de confondre des facteurs conjoncturels avec du structurel. L’article passe complètement à côté des mécaniques de cycles au sein des startup-hub. On ne peut pas comparer un hub comme la Silicon Valley qui a plusieurs générations d’entrepreneurs au hub français où on commence tout juste depuis 2 à 3 ans à voir les effets de la première génération d’entrepreneurs (appelons la « génération minitel », beaucoup sont passés par là !). On ne peut pas l’ignorer : la création et le développement d’un hub de startups demande du temps, du temps et du temps !.

Pourquoi le modèle « audience first, monetization second » fonctionne aux US ? Parcequ’il y a eu des précédents, tout simplement. Les français ne sont pas moins bêtes. Mais tant qu’un entrepreneur n’aura pas démontré à tout le monde que c’est possible, ça ne bougera pas au niveau du financement. Pour qu’il y ait un précédent, il faut une somme de facteur entre entrepreneurs, investisseurs, produit, marché, etc. On peut regretter que One Feat n’ait pas trouvé ce combo gagnant, mais il n’y a pas pour autant à conclure à l’incompétence des français. Je suis sûr qu’il en a été de même à chaque itération du hub que forme la Silicon Valley : un combo gagnant que beaucoup ont veinement cherché.

Et un avis tout à fait personnel et patriotique : ce n’est pas en partant aux US qu’on fait avancer ce problème de poule et d’oeuf ! Je respecte les choix individuels, mais on ne peut pas après critiquer une situation qu’on a pas plus tenté que ça de résoudre. Je comprends les frustrations, mais il y a toujours des solutions possibles. Ça tombe bien, c’est le boulot d’entrepreneurs que de trouver des solutions à tout 😉

Et autre facteur purement conjoncturel : le marché de l’emploi aux US est tellement tendu sur le marché des ingénieurs que cela favorise clairement les « acquihires », ces acquisitions avant tout motivées par l’équipe plus que par l’audience ou les revenus. Cela facilite grandement l’approche « audience first » : si ça ne marche pas, il y a tout de même une porte de sortie. Et voilà comment on trouve plus facilement du capital. Capital qui lui-même est nettement plus abondant qu’en Europe de toute manière comme le rappelle Guillaume Truttmann dans sa réponse à l’article de La Tribune.

Sur les modèles économiques

Je rejoins aussi Guillaume sur l’irresponsabilité d’écrire qu’un business model n’est pas nécessaire pour réussir. Si j’ai retenu une chose de l’expérience Owlient, c’est que ce qui rapidement importe (et notamment lors d’une cession), c’est la capacité à générer du résultat. Il n’y a que ça qui compte au final pour 99% des sociétés, même sur des secteurs dits innovants comme le jeu en ligne.

La logique qui consiste à grandir et créer de la valeur sans pour autant générer de résultat n’est vraie que pour une infime partie des sociétés. Il faut avoir de l’ambition, c’est ce qui permettra de faire avancer l’écosystème aussi, mais il faut avoir aussi un minimum les pieds sur terre.

Et pour pousser encore la logique, si vous êtes entrepreneurs parceque vous aimez la liberté, alors il n’y a pas de miracle : être profitable est le seul moyen d’assurer pleinement cette liberté. Que ce soit en auto-financement ou face à des investisseurs.

Enfin, l’article parle de Facebook qui n’a pas de business modèle, il y a de quoi rire quand même : on parle d’une société qui est « cash flow positive » depuis 2009, et qui l’année dernière a généré près de 800M? de résultat net ! Pas de business model à la hauteur des enjeux et de son potentiel peut-être, mais une société saine financièrement.

En conclusion

Je retiens deux points de cet article :

  • si il y a malheureusement quelque chose de structurel en France, difficile à faire évoluer, c’est ce défaitisme ambiant. C’est forcément mieux ailleurs…
  • ce qu’il manque vraiment à l’écosystème français, c’est aussi une vraie presse compétente sur le sujet !

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3 Comments

  1. Et pan ! Merci pour ces éclaircissements. Globalement les mauvaises nouvelles et le défaitisme font plus lire et vendre que les bonnes nouvelles, surtout dans la presse !

    Dans le bassin essonnien que je fréquente en dilettante (pas en tant qu’entrepreuneur), j’observe en revanche une sorte de positivisme et d’énergie incroyable autour de l’innovation. Peut-être partages-tu ce constat ?

    Le département ambitionne une "Silicon Valley" à la française sur Saclay – terme très discutable, on n’est pas là pour copier – mais qui est déjà observable en terme d’entrepreneuriat et d’innovation dans le secteur. Peut-être que Jean-Pierre Gonguet (le journaliste en question) devrait y faire un tour ?

  2. Nicolas

    Ce qui manque en France c’est des BA/VC qui connaissent la vrai définition du mot startup : A human institution designed to create something new under conditions of extreme uncertainity.

    Par définition on tente de créer quelque chose d’innovant, qui n’a donc pas son égale ailleurs. Il est donc impossible de connaitre, en se basant sur une quelconque étude de marché, s’il y a des chances que ça marche ou non.

    Sérieusement quoi ! Demander à une startup une prévision financière sur cinq ans ? C’est pas être à coté de la plaque ça ?

    C’est pourquoi les startups françaises ne trouvent pas d’investissement en France même avec tout le potentiel qu’elles peuvent avoir ( = nombre d’utilisateurs = proposition de valeur approuvé par le client ).

    En allant plus loin on peut même dire que le but d’une startup est de trouver un business model viable justement ! Passé cette étape ce n’est plus une startup !
    Et bien en France les BA/VC ne financent simplement pas les startups, on finance des entreprises abouties qui ont simplement besoin de plus de fonts pour lancer par exemple un nouveau produits mais qui ont déjà des revenues stables.

  3. Nicolas

    Quant à ricaner sur l’exemple de Facebook, je ne vois pas trop l’intérêt puisque l’entreprise à quand même passé 3 ans et demie sans vrais revenues et quasiment 6 ans sans être rentable !

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